Stephen Frears « Les Liaisons dangereuses » 1989
Lundi 9 avril 07 Antenne 2.
Les Liaisons , un roman du dix-huitième siècle, avant la Révolution, resté fameux mais qui possède les inconvénient du récit épistolaire, lequel est souvent un piège pour le romancier.
Nous attendons autant de tons et de voix qu'il y a de personnages qui écrivent, comme au théâtre, puisque chacun écrit en son nom. Mais l'on ne trouve pas cela dans les « Liaisons » ; chacun des personnages même les protagonistes écrivent toujours la même lettre. Bien sûr ces lettres sont distinctes, parce qu'on y adopte le point de vue et les sentiments du correspondant en question, mais le style du narrateur ne change pas de l'une à l'autre.
Même lorsque l'un ou l'autre écrit « c'est bien de vous cette phrase « ou encore « maintenant vous parlez un autre langage », pour convaincre le lecteur...
Le problème est le même dans les romans où le récit est pris en charge par plusieurs personnages qui s'expriment tous à la première personne du singulier en une suite de narrations alternées. Plus les personnages sont nombreux moins on est convaincus ! Je l'ai déjà dit à propos de Pascal Dessaint un auteur de polars contemporain qui possède un certain savoir-faire mais manque de crédibilité sur le récit à plusieurs personnages. Choderlos de Laclos ne fait pas mieux que lui.
Dans l'adaptation cinématographique de Stephen Frears nous avons la satisfaction de voir enfin des êtres différents parler un langage qui, pour être le même ( il a repris le texte avec une grande fidélité), n'est pas énoncé de la même façon, sort de bouches différentes, se diversifie d'expressions diverses. Pour le lecteur qui manque d'imagination, comme moi, ce film est une vraie chance de goûter enfin les "Liaisons."
En incipit, le cinéaste présente les deux personnages principaux : Merteuil et Valmont.
La marquise se tient bien droite, l'œil fier, et regarde vers Valmont ou vers son avenir comme si elle regardait le téléspectateur. Elle se fait habiller, poudrer, lacer le corsage, farder.
Valmont fait de même mais il baisse les yeux, évite de dévisager le spectateur, évite le regard de la marquise en signe de ( faux) respect.
St. Frears a choisi de montrer la marquise fière et conquérante, et Valmont déjà prêt à un combat inutile : c'est sur son épée qu'il baisse les yeux.
Chacun enfile un masque, au cours d ‘un long rituel, se prépare pour une joute costumée.
On entre tout de suite dans le conflit qui oppose les deux protagonistes. : Merteuil propose à Valmont son complice« une affaire », la séduction de Cécile de Volange et l'humiliation qui en découlera, pour la famille de cette gamine que l'on veut marier prochainement.
Valmont refuse parce qu'il est déjà occupé ailleurs par Mme de Tourvel. Ces informations sont données avec un maximum de rapidité et d'efficacité. Nous ne subissons pas les longues lettres alambiquées.
Le couple Merteuil-Valmont : ils vivent de se prouver l'un à l'autre leur amour ( en supposant que cela peut être appelé ainsi?) en réalisant des « affaires » libertines. L'affaire Volange est une preuve d'amour que Merteuil demande à Valmont, d'autant plus que, ce faisant, il doit la venger, le futur mari de Cécile, Dancenys étant un intime de la Marquise. Cécile est une victime à sacrifier par Valmont sur l'autel de la Marquise.
Merteuil qui veut avoir un rôle actif, joue le même jeu que Valmont ,mais sans lui donner ses proies.
Ce couple fonctionne ainsi, ce n'est pas aussi original que le croit Merteuil dans sa célèbre Lettre où elle pense être en train de venger les femmes. Elle a essayé comme bien d'autres, d'être libre, mais, en dépit du contexte libertin, l'union avec Valmont est structurée de telle manière qu'elle dépend de lui comme lui d'elle.
L'argument de l'intrigue, c'est que Valmont est en train de se détourner de Merteuil pour Mme de Tourvel. il n'agit plus pour le compte de la Marquise mais pour le sien propre ; et cela va rompre le contrat qui les liait.
En somme, il s'apprête à demander le divorce...
Valmont cependant feint de n'avoir pas changé « Vous allez voir comme je vais susciter votre admiration par une action plus difficile que d'ordinaire ». Est-ce vraiment une feinte?
N'est-il plus amoureux de la marquise ? Veut-il se détacher de son emprise en prenant Mme de Tourvel comme prétexte ?
Leur échange de regards ratés dans l'incipit, témoigne d'un couple qui se défait.
Surtout le regard de Valmont ( on ne pouvait mieux trouver que John Malkovitch) qui, sans cesse se dérobe, intéresse le spectateur. Que nous cache t'il ?
Car ce couple qui se veut libre est ligoté par cette contrainte qu'ils se donnent de séduire et corrompre une victime désignée par l'autre.
Cela ne fonctionne plus : Valmont est contraint de se battre pour la Marquise et de mourir pour elle, non sans s'être vengé. La Maquise doit faire retraite et change son masque pour celui de la petite vérole...
Merteuil et Valmont, libertins, s'enorgueillissent de leur perversité. Mais ils sont bien plus vertueux qu'ils ne le croient , car n'hésitant pas à s'acheminer aveuglément vers une fin tragique.
Merteuil pense être au-dessus des autres femmes. Erreur ! Elle se conduit comme une femme amoureuse ! elle croit ourdir des machinations pour son plaisir ? elle le fait pour Valmont et c'est pour lui qu'elle se perd.
Hait-elle la société ? Oui, mais tous les amoureux la haïssent pour ne voir que l'objet de leur amour.
d'ailleurs l'objet de son amour n'est pas Valmont lui-même mais les machinations qu'ils ourdissent.
La marquise se venge de Valmont :elle est persuadée qu'il aime Mme de Tourvel bien qu'il ne l'avoue jamais.
Doit-on croire à cet attachement pour Mme de Tourvel?
Il faut dire que si les deux acteurs principaux ( Glenn Close et John Malkovich ) sont excellents, Michelle Pfeiffer dans le rôle de Mme de Tourvel n'a pas beaucoup de piquant ; quand on pense que Pfeiffer signifie « poivre ».... !
Les liaisons dangereuses ne sont rien d'autres que les liaisons amoureuses : c'est l'amour qui est dangereux.