Léon Okrasa vit dans une maison obscure où l'on s'éclaire avec des bouts de chandelle et de mauvaises lampes, avec une vieille femme alitée aux traits marqués presque masculins, dont il s'occupe bien, sans doute sa mère. Il se livre à des actions qui peuvent nous inquiéter, achète une hache, se trouve en possession d'une main coupée qu'il sort d'une poubelle et va faire brûler. Il a été témoin d'un accident de voiture. Il contemple le cadavre d'une vache flottant sur un fleuve en contrebas d'un pont ( on voit que c'est une créature monstrueuse, bizarre, « fabriquée », l'allure vaguement bovine, mais tout de même le choc est là). Une musique de film noir retentit et nous fait croire que ce vieux garçon campagnard aux allures timides est un meurtrier. Nous savons qu'il a été condamné ; de temps en temps la voix d'un policier qui l'interroge lui revient avec ses questions ainsi que la salle d'interrogatoire en préfabriqué dépourvue de décor...
La narration est en focalisation interne. On ne voit et entend que la version de Léon. Il se remémore son passé. Pour ce faire Skolimowski distribue des flashes back d'images, et de sons, autant de souvenirs dans le désordre...comment organiser cette somme de données ?
Léon travaille à l'hôpital (maintenant ou autrefois ?) : on lui parle de cette main ; nous apprenons qu'elle appartenait à un accidenté et qu'il avait charge de la brûler ; on lui reproche d'avoir volé l'alliance...on lui rappelle sa condamnation...
Anna est infirmière dans cet hôpital. Mais c'est dans un hangar que Léon l'a vue se faire violer avec une folle agressivité. Léon n'a pas vu le violeur. Il n'a vu de nu qu'une cuisse d'Anna avec un peu de glaire dessus. Le processus global n'est pas net : on voit dans une semi obscurité une créature étrange s'agiter violemment avec la tête blonde d'Anna qui ne profère aucun son ; ensuite on voit qu'elle reçoit des coups. Cette scène de viol ressemble à ce que Freud appelle la scène primitive (l'enfant qui voit ou imagine l'acte sexuel entre ses parents).En fait, c'en est une version classique que Skolimovki a conçu. Mais très bien faite, effrayante, dans le style « naturaliste ».
L'homme s'enfuit ce n'est qu'une silhouette noire. Anna se redresse (elle s'est fait violer debout et n'a pas été à terre ou peu de temps), son regard et celui de Léon se croisent longuement. Il s'enfuit à son tour... et va prévenir la police. Donc, bien sûr, il est accusé du viol et incarcéré.
Choix entre plusieurs éventualités : Anna connaissait-elle le violeur ? Léon ne serait-il pas le violeur tout de même ?
En tout cas après avoir séjourné en prison (où semble t'il, il se fait violer à son tour) il découvre la maison d'Anna juste en face de la sienne, sa fenêtre surtout, se prend à l'épier lorsqu'elle se déshabille devant. Car, fait curieux, elle ne tire les rideaux que lorsqu'elle a revêtu sa chemise de nuit ! A croire qu'elle le fait exprès... ou que Léon imagine tout cela.
Un soir il s'introduit chez elle par cette fenêtre ; elle a trop bien fêté son trentième anniversaire et dort d'un sommeil alcoolique. Puis il prend l'habitude de venir la voir dormir. Il verse une poudre dans un pot de miel qu'il atteint par la fenêtre ouverte et dont elle use pour sucrer son thé avant la nuit.
Mais ce n'est pas un conte : lorsque la belle s'éveille, Léon se précipite sous le lit. Pendant le sommeil d'Anna, il ne fait rien d'autre que vernir les pieds de la belle, l'effleurer, lui recoudre un bouton, nourrir son chat... va tout de même acheter une belle bague en diamant avec ses maigres économies...des scènes de clair-obscur qui sont attrayantes, poétiques, dans le style peinture flamande et hollandaise d'antan.
Léon se fait coffrer une seconde fois, en s'enfuyant de chez Anna.
Lorsqu'il sort de prison à nouveau, il ne trouve qu'un mur à la place de la « maison d'Anna » où il s'était empressé de revenir.
Ce qui laisse place à bien des interprétations. Il pourrait avoir imaginé les nuits chez Anna (quatre nuits d'un rêveur ?) pendant son séjour en prison, car ce mur, nul ne peut l'avoir construit pour le séparer de la maison d'Anna. Il existait sans doute depuis le début.
C'est un film intéressant, construit de façon habile, pétri d'ambigüités. Les scènes de jour montrent des intérieurs nus et sans décor, des paysages de neige et de boue, les scènes de nuit, plus nombreuses sont d'un onirisme particulier, réaliste.