Dans une ville afghane, une femme s'occupe de son mari qui a reçu une balle dans la nuque : il semble inconscient, et ne peut plus bouger. Son regard ne dit rien non plus, bien que selon sa femme il conserve cet air vaguement moqueur qu'il a toujours eu .
Il était soldat ; le pays est ravagé par une guerre civile, et la ville est devenue dangereuse : mais la femme ne sait pas pour quelle cause les uns se battent contre les autres.
Loin, quelque part dans la ville, l'explosion d'une bombe. Violente, elle détruit peut-être quelques maisons, quelques rêves. On riposte. Les répliques lacèrent le silence de midi, font vibrer les vitres, mais ne réveillent pas les enfants. Elles immobilisent pour un instant- juste deux grains du chapelet-les épaules de la femme.
Elle s'occupe de « son homme » comme une véritable infirmière : perfusion, soins intensifs, hygiène... et aussi aide psychologique, car elle ne cesse de lui parler.
Au début, elle murmure des prières « Al-Qahhâr , répète-t'elle. Elle le répète à chaque respiration de l'homme. Et à chaque mot, elle fait glisser entre ses doigts un grain de chapelet ». Ces rites sont destinés à lui rendre la vie.
Elle s'en lasse, et vient à lui parler plus directement.
Ce sont essentiellement des reproches, reproches d'abord de ne pas se réveiller. Puis de sa conduite passée. Il était tout le temps à la guerre, et rarement à la maison. Elle déplore son absence, pourtant cet homme était un tyran domestique et la faisait souffrir. Ses souvenirs de femme mariée la renvoient à son propre père qui l'avait battue et enfermée dans une cave avec un chat parce qu'elle avait libéré une de ses cailles de combat. Le père avait perdu de l'argent en pariant sur une caille et vendu une de ses filles de douze ans...
Nous sommes dans un pays où les femmes sont esclaves des hommes, maltraitées, persécutées.
Cette femme s'est un peu rebellée et a observé comment sa tante (qui s'est enfuie de chez elle) a dû se réfugier dans une maison close... elle ne voit donc pas de solution. Elle évoque aussi son beau-père avec qui elle réfléchissait sur des récits mythiques, seule littérature à laquelle elle ait eu droit avec le Coran.
C'est un récit mythique qui lui a appris que la pierre de patience « syngué sabour », était une pierre précieuse devant laquelle on se confiait et qui éclatait à la fin du récit. Son mari qui ne bouge pas plus qu'une pierre est devenu pour elle cette syngué sabour.
. Dans la mythologie perse, il s'agit d'une pierre magique que l'on pose devant soi pour déverser sur elle ses malheurs, ses souffrances, ses douleurs, ses misères... On lui confie tout ce que l'on n'ose pas révéler aux autres... Et la pierre écoute, absorbe comme une éponge tous les mots, tous les secrets jusqu'à ce qu'un beau jour elle éclate... Et ce jour-là on est délivré.
De jour en jour, la femme se fait plus audacieuse dans sa parole et ses reproches, osant proférer des gros mots, et parfois se croyant possédée du démon, car elle est engluée dans la religion.
Après avoir tout dit, le mari cesse d'être cette pierre et se réveille... s'ensuit un affrontement mortel...
L'auteur a écrit directement en français. Il connaît cette langue depuis son adolescence. Il s'est inspiré de Marguerite Duras, dont il a eu la révélation avec « Hiroshima mon amour ».
Son style est descriptif écrit au présent simple, précis, poétique.
Effectivement, dans le texte, on lit nombre de phrases comme des incantations.
Goût aussi de la phrase suspendue.
De la phrase qui tient en un mot.
Du silence et du vide.
« Elle regarde lentement autour d'elle. La pièce. Son homme. Ce corps dans le vide. Ce corps vide.
L'inquiétude envahit son regard. Elle se lève, replie le tapis, le remet à sa place, dans l'angle de la chambre, et s'en va ».
Voir l'article de Biblo-obs.com.
Le livre d'Atiq Rahimi est dédié à Nadia Anjuman, poétesse afghane de 25 ans assassinée par son mari, il y a trois ans à Hérat, parce qu'elle était trop libre.
Des hommes et des écrivains comme Atiq Rahimi, il en faudrait bien davantage.
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