Jean Tardieu ( 1903-95)
Les Chansons de Tardieu, je les ai extraites du recueil de poèmes « Jours pétrifiés »( 1043-47) dont on trouve les textes dans le recueil « Le Fleuve caché » ( Poésie/Gallimard) qui regroupe la plupart des textes poétiques importants de Tardieu pour la période 1938-1961. On y trouve notamment les remarquable séries « Monsieur Monsieur » et « une voix sans personne ».
Jours pétrifiés est un recueil qui évoque la stupéfaction, le saisissement, le mauvais sort , la frayeur, tout ce qui est susceptible de vous changer en pierre. Ces poèmes ont été écrits pendant la guerre, ou juste après ; ils en parlent, pas toujours directement ( parfois oui, tel le terrible Oradour, que je n’ai pas vu dans cette édition, pourtant…)
Cette section de « jours pétrifiés » s’intitule « Trois chansons »
la première « Chanson de la nuit » énumère treize personnes qui passent, sans pouvoir se rencontrer, bien que certains s‘appellent, elle ressemble cette chanson à la comptine « passe passera, la dernière restera… « sauf qu’il y en a treize et que le dernier dit « on ne m’a pas attendu «
Le treize s’apparente au malheur, (le treizième arcane la Mort) le treize est aussi en trop, puisque la plupart des cycles sont de douze.
Un de ceux qui passent passent
un de ceux qui passeront
l’un premier l’autre second
le troisième vient ensuite
le quatrième après lui
le cinquième où es-tu donc ?
le sixième déjà tombe
le septième contre un mur
le huitième dans la nuit
le neuvième attendez-moi !
le dixième vient trop tard
le onzième est déjà loin
par le douzième suivi,
mais le treizième s’arrête
(rien ne va rien ne va plus)
près d’une borne inutile :
« on ne m’a pas attendu
« on ne m’a pas reconnu ».
La seconde chanson « la Chanson du crime » parodie un genre de roman noir… sauf que ce sont des ombres, et qui se rassemblent : peut-être sont-ils morts ou arrivent-ils à la porte des enfers.
A la porte verrouillée
au fond d’un mauvais silence
un homme frappe et s’en va
sans attendre la réponse. »
Un autre monte du sol,
sa main cogne avec colère
celui-là ne s’en va pas,
des couteaux brillent et bougent
dans les angles de la nuit
la porte a des soubresauts
on la pousse dedans.
Nul ne sort et nul ne rentre,
je ne sais pourquoi ces ombres
se rassemblent ici.
Et la chanson du "faux marin » récit d’un navire qui ne peut quitter le port, réduit à l’impuissance, reste lyrique par rapport aux précédentes, (oiseau, forme cruelle) semble planer, pour mieux retomber à plat : elle s’achève par le mot « mort ». Il s’agit d’impuissance à agir, plutôt que de mort réelle.
L’humour de Tardieu, se fait très noir, ici.
Même si la section porte le titre « Chansons « aucune ne présente de refrain.
Chanson du faux marin.