Minuit, 2019, 169 pages.
Comme pour Roger Ackroyd, Le Chien des Baskerville, Hamlet… l’auteur cherche une autre solution au problème posé, une solution qui surprenne, un autre criminel que celui qui est désigné par le récit initial.
Inutile de relire « Dix petits nègres «, si votre mémoire est défaillante ! Pierre Bayard nous donne une liste des personnages avec leur identité, et ce qui les a menés sur l’île. Ensuite, il reprend méticuleusement tous les faits !
Il faut aussi avertir le lecteur que Bayard se réfère dans son analyse à deux autres romans d’Agatha Christie, et en dévoile l’intrigue et la solution ( qu’il semble trouver bonne !) il s’agit de « ABC contre Poirot « et « les vacances d’Hercule Poirot ( « Evil under the Sun « ) ; si vous aviez le projet de les lire un jour, faites ces lectures avant d’aborder cet ouvrage.
C’est le véritable meurtrier ( ou meurtrière) des infortunés victimes de l’ile du Nègre, qui s’exprime dans ce texte, fâché(e) qu’on n’ait jamais deviné la solution et qu’on se laisse toujours berner par l’explication initiale…
En répétant souvent les mêmes choses que dans certains de ces ouvrages précédents : on ne voit pas ce qui est sous nos yeux,( référence à la Lettre volée de Poe) on lit avec des préjugés… on se raconte une histoire pour trouver un sens à ce qui en manque (c’est le but de la narration) « cette nécessité de trouver du sens à ce qui nous arrive est à l’origine d’un biais essentiel, peut-être le plus important, auquel nous recourons sans cesse dans notre rencontre avec le monde et que nous pourrions appeler le « biais narratif »… qui nous protège contre la complexité de la vie. "
Fort bien, mais le processus de Bayard est de nous raconter une autre histoire qu’on peut induire du texte d’Agatha Christie, une autre que celle qu’on connaît, en gardant les mêmes ingrédients. Le meurtrier ( qui se désigne comme le vrai ) nous offre un autre lecture des faits, et une autre solution, laquelle n’est ni plus ni moins tirée par les cheveux que l’initiale. Le nouveau meurtrier a beau discuter l’invraisemblance de la mise en scène imaginée par l’auteur pour désigner le premier coupable, il ne fait qu’en substituer une autre, qui se tient aussi bien, avec des éléments pas toujours dissemblables.
L’auteur est astucieux, et se tire brillamment d'un exercice qu'il avait déjà amorcé dans " qui a vraiment tué Roger Ackroyd? " " Enquête sur Hamlet" et " Le Chien des Baskerville" ( je n'ai pas lu ce dernier). On peut trouver l'exercice répétitif mais je reste bon public pour ce type de jeu. On s’amuse aussi des réflexions du nouveau meurtrier critiquant les obsessions et les méthodes du précédent.
Pourrait-on trouver une troisième solution ? D’autres encore ? Et si chacun des dix intéressés revendiquait les forfaits perpétrés, chacun racontant une histoire différente ? En multipliant » les biais narratifs »
retrouverait-on la « complexité de la vie » ?