Antonioni s'est inspiré de cette nouvelle pour « Blow up » : je me souviens d'un photographe de mode, David, qui, dans un parc londonien, prend une photo de couple et s'aperçoit, l'image développée tirée et agrandie, qu'il s'agissait d'un crime et non de jeux amoureux...
Le narrateur de la nouvelle, Michel, qui parle de lui à la 1ère et troisième personne, tantôt relate ce qu'il fait, tantôt le
critique ( « A quelle personne faudrait-il raconter cela ?» et « qui a vu ? ») prend des photos en amateur et ne souhaite pas faire de l'esthétique
(il est traducteur d'espagnol de son métier) mais lui aussi tient à dérober une part de réel, à traquer, à voir ce qu'il ne devrait pas voir, et le retenir.
Jusqu'ici il s'est borné à surprendre de petits spectacles étranges, des moments d'instabilité «immortaliser un chat en équilibre précaire sur une vespasienne »...
Ce jour-là il est intéressé par un couple à la pointe de l'île St Louis ( ici l'action est à Paris)un garçon très jeune et une jolie femme qui pourrait être sa mère : jeux amoureux qu'il regarde « s'il y a une chose que je sais faire c'est regarder » inventant une petite biographie pour l'adolescent et s'amusant à supputer jusqu'où iront les choses, s'il perdra sa virginité ou non avec cette femme, et imaginant la suite de l'histoire.
Quand il a pris enfin son cliché, la femme l'a vu, la femme réclame l'image, le garçon s'enfuit, un homme plus âgé apparaît...
« Ils me regardaient, lui surpris et interrogateur, elle irritée et hostile de corps et de visage, qui se savaient volés, ignominieusement pris dans une petite image chimique » ; le récit le dit et le répète à l'envi sous diverses formes prendre la photo c'est aussi un crime, c'est voler les gens, voler leurs corps leur image, et peut-être leur âme.
Et l'on ne prend la photo que pour surprendre ( et prendre) quelque spectacle interdit. Celui qui prend la photo est criminel, voleur, ceux qui se font prendre se rendent également coupables de quelque étrangeté qui justifie précisément qu'on les « prenne », étrangeté qui devient un délit au moins dans l'interprétation du photographe.
La photo en question n'est pas récupérée, et il n' s'agissait pas non plus d'un crime de sang. Tout au plus un couple pervers voulait-il corrompre un mineur lui promettant de l'argent ; c'est ce qui apparaît sur l'image qui hante le photographe ; une interprétation à partir des gestes, des expressions et de ce qui advint lorsque son cliché fut pris. « cette femme n'était pas là pour son plaisir, elle n'encourageait pas, ne caressait pas pour s'emparer de l'ange dépeigné et s'amuser ensuite de sa terreur de sa grâce haletante. ..le maître véritable attendait ...il n'était pas le premier à envoyer une femme en avant-garde pour lui ramener des prisonniers ligotés de fleurs » Mais le photographe a interrompu la manœuvre et « sauvé le garçon pour cette fois. Ce spectacle interdit peut s'énoncer « un homme et une femme persécutent un enfant qui veut faire comme les adultes » variante de la scène du crime imaginée par Antonioni.
Pourquoi « les fils de la vierge » ? Ici une ambiguïté surgit du fait qu'en français fils (ficelles) et fils (rejeton) sont homonymes. Ce n'est pas le cas en espagnol.
Le garçon aux prises avec les adultes mal intentionnés « prit se jambes à son cou ... et se perdit comme un fil de la vierge dans l'air du matin » dès lors que l'altercation au sujet du cliché détourne l'attention de ses persécuteurs supposés. « Mais les fils de la vierge s'appellent aussi dans mon pays la bave du diable et Michel dut supporter de minutieuse invectives ...de la part de la femme et l'homme en gris. » Double signification : cheveux d'ange ( le garçon est plusieurs fois comparé à un ange ) et aussi fils minuscules secrétés par les araignées pour tisser leur toile. Le narrateur se laisse prendre dans le filet où les deux adultes voulaient faire tomber le jeune garçon. Ce filet, c'est aussi et en définitive lui qui le tisse, écheveau inextricable de rêveries fascinées par les images vues et ce qu'elles supposent de luttes d'enfant ange avec les parent- démons, de crime, de perte de virginité...
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