Actes sud mars 2010, 291 pages.
Adam Walker, vingt ans, étudiant à l’université de Columbia, rencontre au cours d’une soirée où il s’ennuie, Rudolf Born et son amie Margot, Ils sont trentenaires, Rudolf est
déjà professeur, Margot énigmatique femme en noir est sa compagne.
Adam étudie la poésie des troubadours provençaux du Moyen-âge et trouve intéressant voire révélateur, que l’homme porte le même nom qu’un de ces poètes, Bertrand de Born.
Mais Bertrand de Born n’était pas un poète du fin’amor : c’est la guerre qu’il chantait. Dante l’a envoyé en enfer, dans l’un des Cercles les plus douloureux.
De fait, Rudolf Born, pendant cette soirée, professe des idées d’extrême-droite, qui ne peuvent que choquer le jeune Adam…
A la fin de la soirée, pourtant, l’étudiant et le jeune professeur se sont si bien entendus que Rudolf a proposé à Adam de lui assurer son avenir, en finançant un
magazine dont il serait le rédacteur en chef. Deux jours se passent, il lui a signé un gros chèque et il s’efface opportunément à Paris, tandis que Margot lui offre son corps et ses repas
succulents…
Qu’est-ce qu’ils me veulent ? pense Adam, dans ses instants de lucidité.
Rudolf sait trop de choses sur lui ! À quoi doit-il sa bonne fortune, et comment pourrait-elle durer ?
Il est tombé sur un individu à priori animé d’excellentes intentions à son égard mais énigmatique et qui se révèle l’une des pires rencontres que l’on puisse faire...
Ce récit date de 1967. Trente ans plus tard Adam est au bord de la tombe, et c’est Jim l’un de ses ancien congénères de Columbia, qui vient de recevoir son texte. Avant de
mourir, Adam veut écrire le récit de sa vie, pendant cette année 67 qui décida de toute son existence ultérieure. A son ami, il lègue son premier récit et deux autres, le second écrit à la
deuxième personne, le troisième conté par un narrateur omniscient, comme si Adam devait prendre du recul face à des événements éprouvants. Ecrit à la va-vite, car il n'a plus le temps....
Ce roman est typique d’Auster. On y retrouve ses thèmes favoris, pour commencer le problème de l’antisémitisme.
Adam est juif, et ce titre « Invisible » c’est son sentiment de devoir se dissimuler. Sa famille portait un nom polonais imprononçable qui a été anglicisé en « Adam
Walker » (idem pour Sid dans La Nuit de l’oracle).
L’un des personnages de cette Nuit, se dissimulait dans un abri anti-nucléaire...dont il ne sortait pas, car Sid ne savait pas comment continuer l"histoire.
Ici, guidé si j'ose dire ! par l'invisibilité du titre, nous attendons que plusieurs personnages se rendent invisibles, dissimulant leur véritables personnalité, leurs sentiments, leurs actions
leurs motivations.
C’est vrai surtout de Born, mais les autres vont se révéler plutôt transparents.
La pluralité de narrateurs-personnages apporte au roman une apparence de complexité. Ici, nous en avons trois : Jim est en train de lire le récit d’Adam, qu’au début nous croyons être
seulement de lui ; on apprend progressivement à quel point Jim peut et doit l’avoir transformé....
Deux écrivains amis, dont l’un recueille le récit de l’autre qui ne peut aller plus loin, va le mettre en forme, et se faire un devoir de poursuivre des investigations pour mieux
comprendre cette existence qui s'offre à lui : c’est aussi plus ou moins l’intrigue de Léviathan qui est ici reprise.
Jim devient une sorte de double d’Adam, et nous allons bientôt comprendre que les textes que nous lisons sont à la fois les siens et ceux d’Adam à qui il aura servi de « nègre »
littéraire, volontairement et par amitié.
Jim devient narrateur à son tour pour raconter sa réception du récit, les événements qui suivirent, ses recherches ultérieures.
Un troisième narrateur intervient, Cécile, qui clôt l’ouvrage …
Ces récits à plusieurs voix sont fréquents chez Auster.
A quoi servent-il dans ce cas ? N’aurait-ce pas été plus simple de donner le récit d’Adam et celui de Cécile, et, pour que nous ayons la version de cette femme, de faire se retrouver
Adam et Cécile ?
Encore que la version de Cécile n'étonne pas le lecteur, qui avait compris depuis longtemps le personnage de Born. Et ce qui arrive à Cécile aurait pu tout aussi bien arriver à Adam...!
Bref, Auster aurait pu se borner à relater le récit d'Adam, l'année 1967, puis le retrouver plus tard pour une ultime confrontation peut-être plus décisive que celle qui oppose la narratrice
Cécile à Rudolf Born. Cécile reste un personnage secondaire dont on n'attend pas grand chose. Je ne vois pas l'intérêt d'avoir rendu Adam incapable de continuer sa narration. Le fait que sa
soeur nie une partie de son récit la concernant ne m'a pas intéressée non plus. Cette soeur, belle, brillante, surdouée, nous-dit-on, n'a rien de surprenant dans les mots...
D'autres personnages ne tiennent pas leur promesse, notamment Margot, qui s'avère n'être rien de plus que ce qu'elle paraissait au départ...
Auster cherche à déconcerter le lecteur.
Ce n'est pas nouveau, et l'on aime bien qu'il nous "perde" ainsi.Si le jeu en vaut la chandelle... je ne suis pas sûre que ce soit le cas dans ce nouvel opus.
Le thème de l’inceste, je ne me souviens pas de l’avoir déjà rencontré chez Auster ( mais je suis loin d’avoir tout lu de lui). Remarquons aussi les descriptions d’actes sexuels
frénétiques, et l’importance qu’Adam accorde à la sexualité. Ces descriptions ne sont pas ce que j’ai préféré dans le roman ; je ne les ai pas trouvées originales. Peut-être n'est-ce
qu'un début, et allons nous découvrir un Auster plongeant dans l'érotisme, sur le tard. Je doute qu'il y excelle...
Narration, description et dialogues sont pourtant bien équilibrés.
Les parties plus anecdotiques du récit concernant la vie quotidienne des personnages sont étonnamment justes. Notamment, j’ai aimé la façon dont Adam Walker relate son expérience de magasinier
dans une bibliothèque universitaire. Pour avoir connu moi-même une pratique similaire, je ne peux que saluer la remarquable pertinence du propos.
Dans l’ensemble ce roman est mieux construit que « Seul dans le noir », plus cohérent, dans la mesure où le fil conducteur est le personnage de Rudolf Born,
fil qui n’est jamais perdu de vue.
Bonus! trois extraits d'Auster façon érotique :
1) Margot dévêtue révélait sa minceur presque sa maigreur, de petits seins d'allure adolescente, des hanches menues, et des bras et jambes nerveux.Une bouche pulpeuse, un ventre plat au
nombril légèrement protubérant, des mains tendres, un buisson touffu, des fesses solides et une peu d'une blancheur extrême... Margot était si au fait de l'art de mordiller, de lécher et
d'embrasser, si peu réticente à m'explorer des mains et de la langue, à attaquer, à se pâmer, à se donner sans coquetterie ni hésitation qu'il ne me fallut pas longtemps pour me laisser
aller.
2) Gwyn la soeur d'Adam déclare : j'adore le corps des hommes, et j'éprouve une affection particulière pour cette chose qu'ils ont que les corps féminins n'ont pas. Etre avec une femme est
assez agréable, mais ça n'a pas la force d'une bonne vieille culbute hétéro à l'ancienne.
3) ... elle trouve fascinante la toison qui est apparue sur ta poitrine et considère avec un intérêt inlassable la mutabilité de ton pénis : membre inerte et ballottant tel que le décrivent
les manuels de biologie, titan phallique dressé de toute sa taille à l'acmé de la bandaison, petit être rétréci et épuisé lors de la retraite post-coïtale. Elle qualifie ta bite de spectacle de
variété... emportée par la monte de l'orgasme, elle a tendance , toutefois, à revenir aux utilités contemporaines, recourant pour exprimer ce qu'elle ressent aux mots les plus simples et les plus
crus du lexique. Con, chatte, baise. Baise-moi, Adam. Encore et encore... pendant un mois entier tu vis en captif de ce mot, prisonnier volontaire de ce mot, incarnation de ce mot.